L’automobile est un objet hors norme, imposant au monde son infrastructure délirante, qui modèle aussi bien le paysage et l’atmosphère que nos imaginaires : on la retrouve dans l’angle mort de notre quotidien. Plus de 1,2 milliard d’automobiles circulent aujourd’hui sur la Terre. Présentée en 2022 à la Cité du design à l’occasion de la 12e Biennale Internationale Design Saint-Étienne, l’exposition Autofiction a été adaptée aux dernières évolutions de la question de l’objet automobile pour sa présentation au CID.
L’automobile n’est pas qu’un assemblage de milliers de pièces : en s’automatisant, elle est de plus en plus un objet numérique qui dévore des données, enregistre et décrit notre environnement. Son appétit se prolonge avec les ressources minérales et fossiles mobilisées pour sa fabrication, ressources naturelles qui supportent de plus en plus difficilement son développement. Autofiction présente une biographie subjective, embarrassante et souvent taboue, de cet objet qui participe plus que jamais de la fabrication d’environnements artificiels, systémiques, massifs, englobants. Autofiction témoigne alors des controverses en cours chez les designers et créateurs à travers trois axes biographiques complémentaires.
Une première partie est consacrée à l’automobile comme un smart electronic device (appareil électronique intelligent) à quatre roues. Objet numérique, automatisé, captant, la voiture produit une description de nos environnements et de nous-mêmes qui renforce sa qualité d’objet connecté, d’objet système, à l’instar des projets des années 1970 du groupe Ant Farm, dont le Mediavan captait des enregistrements des espaces traversés et des individus rencontrés, pour les restituer ensuite à l’intérieur-même du van sur des campus universitaires de Californie. Plus récemment, à travers le regard questionnant des films d’Olivier Bosson et de Nicolas Gourault concernant les déboires du véhicule autonome, est pointée la fragilité de l’automatisation des systèmes. Tandis que le véhicule-dispositif de Benedikt Gross et Joey Lee nous permet de “voir comme une IA”, pour appréhender la technologie de l’intérieur, les robots de Degoutin & Wagon nous renvoient à notre condition d’animaux mobiles.
La deuxième partie met en scène une brève biographie fossile de l’automobile pour s’ouvrir ensuite sur celle plus vaste des stratégies énergétiques aujourd’hui. L’électrique n’est pas la seule option pour l’industrie : la réduction des tailles et des consommations comme la Microlino électrique, l’allègement des véhicules comme La Bagnole de Kilow, le métabolisme comme énergie disponible pour la voiture à pédale et assistance électrique de Midipile, ou le retrofit, jouant avec le patrimoine automobile comme la R5 Diamant de Pierre Gonalons pour Renault : les scénarios sont multiples. Alors que l’artiste belge Eric Van Hove convoque les savoir-faire d’artisans marocains pour rappeler que la production automobile vient de l'artisanat et pourrait y retourner.
La dernière partie ouvre sur de nouvelles pistes narratives pour l’automobile. Ces histoires proviennent d’artistes et de designers, venant de Wolfsburg en Allemagne, après la crise du diesel gate ; de Lubumbashi en République Démocratique du Congo où l’industrie des métaux rares pour les véhicules électriques provoque des ravages sur les populations ; de Cuba où la désobéissance technologique permet une survie fragile ou de France, où des céramistes investissent le passé de l’automobile comme une nouvelle ressource. En révélant ces nouveaux imaginaires techniques provenant de pratiques amateurs, nous invitons un public très large à découvrir ce que pourrait être une démocratie technique, renouant ainsi avec la notion d’automobile comme objet populaire.